Architectes et Légendes

Architectes et Légendes

Le génie de Léonard de Vinci à l'œuvre

Le génie de Léonard de Vinci à l'œuvre

Si ce « palais équestre » impressionne par ses dimensions princières, c’est surtout par l’audace de sa triple nef, qu’il fascine encore aujourd’hui. Cette prouesse esthétique et technique s’inspire directement des plans de Léonard de Vinci, qui avait imaginé, plus d’un siècle et demi plus tôt, les contours de ces écuries idéales.

D’autres grandes figures sont associées à l’histoire de l’édifice : François Blondel, alors militaire dont les talents d’architecte commençaient à se révéler, et François Martel, dit « Champagne », à qui fut confiée la maîtrise d’œuvre.

L’alliance de l’esthétique et du fonctionnel

L’alliance de l’esthétique et du fonctionnel

Construites entre 1648 et 1652, les écuries de Chaumont sont uniques en France : ce sont les seules à avoir été conçues selon la vision des « écuries idéales » imaginées par Léonard de Vinci. Loin du schéma classique à rang unique, le maître italien avait pensé un plan audacieux à trois nefs voûtées, portées par deux rangées de colonnes toscanes. Cette organisation crée une vaste allée centrale, bordée de part et d’autre par des emplacements pouvant accueillir trois chevaux entre deux colonnes.

La beauté de l’édifice se double d’une ingéniosité pratique : Le foin, stocké au sec sous les toits, pouvait être directement versé dans les mangeoires grâce à des conduits intégrés aux murs. Quant au purin, il s’écoule naturellement vers l’allée centrale et rejoint un système de collecte souterrain. Esthétique, confort et fonctionnalité se conjuguent ainsi dans une réalisation qui demeure exceptionnelle.

François Blondel, l’architecte du palais équestre

François Blondel, l’architecte du palais équestre

C’est à François Blondel qu’est confié le rôle d’architecte pour ériger ses écuries idéales. Si aucun document officiel ne l’atteste, c’est lui-même qui le revendique plus tard, dans ses commentaires à L’Architecture françoise de Louis Savot : « J'en ay autrefois fait construire une [« écurie »] à Chaumont la Guiche en Charolois qui a passé pour belle ».

À l’époque, Blondel n’est encore qu’un ingénieur militaire quand il prend les rênes de ce projet. Il est âgé d’à peine 30 ans, et évolue dans les mêmes cercles militaires que le duc d’Angoulême, époux d’Henriette de La Guiche. C’est probablement grâce à ce réseau qu’il se voit confier cette construction. Les écuries de Chaumont comptent ainsi parmi ses toutes premières réalisations civiles. Plus tard, sous Louis XIV, il deviendra directeur de l’Académie royale d’architecture et édifiera notamment le majestueux porte Saint-Denis à Paris, et la corderie royale de Rochefort.

La "signature Blondel" tient dans plusieurs détails, mais surtout dans ces deux majestueux escaliers en U qui viennent donner à cet édifice cet allure de palais et les parent d’une élégance rare. 25 ans plus tard, Blondel définira les proportions idéales pour les marches d’escalier, calcul qui reste à ce jour une référence en architecture. 

Un certain « Champagne » aux commandes du chantier

Un certain « Champagne » aux commandes du chantier

François Blondel occupait de nombreuses charges et il est certain qu’il n’a pas pu suivre le chantier dans les moindres détails. Certains ornements, d’une grande finesse et caractéristiques de son style, côtoient d’autres éléments réalisés directement par l’entrepreneur chargé du chantier.

Qui était cet entrepreneur ? Les archives de la famille La Guiche révèlent que la maîtrise d’œuvre a été confiée à François Martel, plus connu sous le nom de « Champagne ». Ce « maître tailleur de pierre et entrepreneur d’autre » comme le désigne le contrat signé le 31 août 1648, était un entrepreneur expérimenté, s’étant déjà illustré dans la construction du château de Champvent, à quelques kilomètres. Pour le chantier de Chaumont, il s’entoura de compagnons venus d’Auvergne, venus renforcer les artisans locaux, afin de mener à bien ce projet ambitieux.

La réalisation de ces écuries en moins de quatre ans témoigne des moyens considérables dont disposaient « Mgr et Dame Comtesse d’Alais » - Henriette de La Guiche et son époux - ainsi que de l’organisation efficace mise en place par Blondel et Martel pour transformer le rêve de Léonard en un bâtiment fonctionnel et majestueux.

De nombreuses légendes

De nombreuses légendes

La construction de cet édifice aux dimensions monumentales nourrît son lot de légendes. Parmi elles, l’une reste indissociable des écuries de Chaumont : celle qui raconte qu’Henriette de La Guiche, « d’un esprit fort peu soumis » au Roi de France, aurait fait bâtir ce « caprice d’écuyère » selon des proportions telles qu’elles auraient pu faire ombrage au souverain :

« Il est clair que ces écuries sont faites pour contenir une centaine de chevaux ; lorsqu'on y pénètre, il semble, tant elles sont immenses, que l'on s'y peut aisément perdre. Or, le Roi ne voulait pas que ses sujets possédassent cent chevaux ; lui seul avait droit à ce chiffre et au-delà, ses sujets, non. Que fit donc la dame pour concilier l'obéissance qu'elle devait au Roi et son caprice d'écuyère ? Elle logea quatre-vingt-dix-neuf chevaux dans les somptueuses écuries de Chaumont, et jucha le centième au-dessus de la porte d'entrée […] Que pouvait dire le Roi ? Rien. Et c'est ainsi qu'Henriette de La Guiche eut les cent chevaux qu'elle convoitait, malgré les édits, à la barbe du Roi. » ¹

En réalité, les écuries de Chaumont n’ont jamais pu accueillir « que » 87 chevaux. Mais cette anecdote illustre bien les jalousies qu’un tel palais équestre pouvait susciter, et combien il fit parler à la cour de France, dans une période où l’autorité royale elle-même vacillait. D’autres légendes sont à retrouver dans le livre consacré aux écuries.

¹Texte complet à retrouver dans : Pailleron, Marie-Louise. L’enlèvement à la belle étoile : histoire de M. de Saint-Géran. Paris : librairie Plon ; Les petits-fils de Plon et Nourrit, 1927, pp. 107-108. Disponible en ligne : Gallica (BNF) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3379151p